Le Conte du Silence [Background de Rayja]

Assise au coin du feu, chose rare pour sa personne, la chasseresse observait un silence religieux en croisant les regards de ses compagnons. C'était une histoire triste, que personne jusque là n'avait pût entendre, qu'elle se proposait de raconter. Sa voix s'éleva alors, éraillée mais murmurante comme le souffle du vent dans les arbres, son regard s'allumant un bref instant au contact chaud des flammes.

- Tout le monde connait ce conte aujourd'hui à Lune d'Argent, mais personne ne sait exactement d'où il vient. On ignore la date de sa création, personne n'a jamais dit le nom de sa principale comédienne. Tant et tant d'artistes ont tentés de le conter en faisant ressortir à la fois la tristesse et la haine, la douceur et l'espoir d'un lendemain différent, sans jamais y arriver. Pourtant, je me permet ce soir de faire pareil qu'eux et de nager dans ces sentiments que tant de gens pourraient croire imaginaires.

La jeune elfe inspira la fumée odorante du bois brûlant, grimaçant légèrement avant de se faire à cette odeur âcre, puis elle reporta son regard vide sur le monde qui l'entourait.

- Pourquoi le Conte du Silence ? Pourquoi pas la vie de telle personne, la vierge bâtarde, ou encore un autre nom qui éclairerait plus les personnes écoutant ? On ne le sait pas. Quant à moi, je vous dirais simplement que ce n'est pas exactement une histoire à se partager au coin d'un feu comme celui-ci...

Elle désigna d'un geste d'une grâce animale les flammes crépitantes et dansantes;

- Et je vous dirais également que c'est à cause du fait que ce n'est pas l'histoire d'une héroïne. C'était une femme, une elfe pour tout vous dire, qui vivait plus de souffrance que d'envie de secourir le monde, ce qu'elle n'a d'ailleurs jamais fait - que vous le croyiez ou non.

Puis elle esquissa un sourire félin et chagriné en repportant son regard d'un vert profond sur les flammes, prenant une nouvelle inspiration avant de reprendre une dernière fois ses paroles.

- Mais je suppose que ce prologue ne vous intéresse pas vraiment puisque vous connaissez déjà cette histoire, racontée mainte fois mais jamais honorée par la vérité. Alors sans plus attendre je vais commencer ce récit... Mon récit.

Ses pensées se perdirent alors au fond du gouffre noir se trouvant au loin derrière les flammes incendescantes, se fondirent dans le décors et les couleurs... Pour l'emporter dans son propre passé.

- Seigneur Elensar ? Se...

L'elfe menu qui servait d'Assistant au grand Seigneur Elensar, de Lune d'Argent, se recroquevilla contre le mur sous l'effet du regard meurtrier de son Maître. Ce dernier, grand guerrier de la ville aux talents d'Achimiste, était une fois de plus plongé au-dessus de ses établis, sa cape posée sur un fauteuil rembourré de velours rouge et sa chemise l'ayant accompagné depuis peu pour révéler ses muscles luisant de sueur. Pour l'Assistant, cela n'avait aucun sens que de suer pour des plantes à mélanger entre elles. Rien de compliqué, lui chuchotait toujours son esprit. Mais cela s'expliquait aisément par le fait qu'il avait à peine commencé à apprendre les arts soigneux et mentalement éprouvant de l'alchimie.

- Que me veux-tu encore ?

Le jeune elfe, tordant ses mains moites contre sa chemise de soie blanche, ses cheveux blonds cachant son front haut, semblait hésiter à parler. Sur ces hésitations, le Maître de la maison des Elensar s'approcha d'un pas vif et lourd pour le saisir par le bord de son col;

- Je t'ai demandé, petite larve, ce que tu me voulais !

La pomme d'Adam de l'Assistant fit deux fois l'allée retour entre le bas et le haut de sa gorge alors qu'il se mettait à trembler. Le Seigneur n'avait jamais été vanté pour sa patience, bien entendu, et ce dernier secoua une fois de plus le pauvre garçon alors qu'il commençait seulement à bégayer;

- Quoi ?!
- Votre femme est prête à donner naissance ainsi que votre servante personnelle chargée de la coiffure !

Cette fois-ci, ce fut au tour du Seigneur de déglutir, sa chevelure rousse plaquée contre son front. Puis il lâcha la marionnette qu'était le garçonnet elfique avant de revenir jusqu'à ses fioles et composants; Ce dernier le regarda un moment en clignant des yeux, attendant sans aucun doute la réponse de son Maître. Elle ne vint jamais. Au lieu de ça, ce dernier leva une main et l'agita d'un air pompeux pour le congédier. Et le Seigneur resta seul dans la sombre pièce, agitant et retournant les liquides contenus dans ses bocaux.

Cette fois-ci, ce fut un léger coup à la porte qui sortit le Seigneur de ses pensées sombres, reflétées sur son visage tendu et grimaçant. Ce dernier mit un certain temps avant de relever la tête, ce qui produisit un nouveau coup frappé contre le bois de chêne, avant qu'il élève sa voix de ténor :

- Entrez. Que voulez-vous ?

A peine entrée que l'elfe posa une main frêle sur son coeur en esquissant une moue réprobatrice : Cette femme était grande, mince, et avait probablement dût être extrèmement belle autrefois. Peu de personnes ont eut la chance de voir une Elfe à la fin de sa vie, lorsque sa peau commence peu à peu à se flétrir, mais le Seigneur Elensar en avait l'opportunité par le biais de sa mère. Cette dernière, résistante de nature et n'ayant jamais bougé de ses draps de soie et de velours, avait eut tout le temps réclamé pour vieillir à souhait. Ses cheveux blonds, bouclés autour de son visage en forme de coeur, cette dernière dardait des yeux d'un vert presque océan sur son fils; Elle avait l'air d'avoir atteint les soixante ans humains bien conservés.

- Très cher, est-ce une façon d'acceuillir sa Mère ? Ne pourriez-vous pas au moins attendre que la porte soit refermée pour commencer à m'agresser de vos questions violentes - Qui, soit dit en passant, semblent plus réservées à votre personnel qu'à ma personne.

Se déplaçant avec une grâce coutumière aux elfes de sang élevés dans le luxe et la grandeur de leur race, son visage rayonnant d'un air paisible, la vieille elfe s'approcha de son descendant et posa une main encore délicate sur son avant bras musclé. Rares étaient également les elfes à avoir deux enfants ou plus, et cette dernière n'avait pas fait exception à la règle : Un fils, grand et puissant, la fièreté du peuple et de sa famille. Elle ne regrettait pas ce choix, ni ce résultat pour lequel elle avait tant travaillé. Peut-être était-il encore trop brut pour la société de luxe de Lune d'Argent, mais au moins était-il vrai et toujours prêt à prendre les armes pour défendre son peuple.

- Pardon... Nez-moi, Mère.

Se rattrapant avec une moue agacée sur son visage bourru, chose surprenant chez un homme de cette race, il se retira de la poigne légère de sa mère pour retourner à ses fioles. Cette dernière sembla un instant tentée par une grimace qui fit frétiller le bout de son joli nez avant qu'elle ne se résigne d'un léger soupir.

- Ta femme a accouché.
- Laquelle ?!

Il se retourna, furieux, vers sa mère et, aussi improbable que cela soit, elle ne sembla nullement surprise ni même choquée. Au contraire, elle esquissa même un sourire moqueur à l'attention de son unique fils.

- Celle que je t'ai choisis, bien sûr. A quoi t'attendais-tu d'autre ? Mais si cela peut calmer tes esprits, l'autre a également donné naissance.
- Des fils ?

Levant les yeux vers le ciel impossible à voir à travers le plafond noircit par la fumée, la vieille elfe pinça ses lèvres rosées.

- Deux filles. Aussi dissemblables que prévu, de surcroit, ce qui évitera à quiconque de reconnaître dans la deuxième le sang de la première. Il me semble d'ailleurs qu'il serait plus judicieux de l'éloigner au possible d'Eamane bien qu'on ne puisse les associer par nature.

L'homme s'était retourné, cachant son visage défait à celle qui l'avait engendré, avant de froncer les sourcils.

- L'une est blonde comme les blés, tellement blonde qu'elle acquierera une chevelure de neige dans un avenir déjà proche, tandis que l'autre possède une chevelure de jeai qu'elle tient de sa propre mère. L'une a la peau aussi blanche que les étoiles dans le ciel alors que l'autre semble déjà hâlée par le soleil des pauvres. Tu ne pourras trouver enfants plus différentes dans ce monde, je peux te l'assurer Lenwë. Je pense même que dans le futur, tu pourras envoyer sans honte cette fille de basse estraction se faire tuer sur un champs de bataille sans faire une seule vague; Elle sera forte, et même si je ne la veux pas au sein de notre maison, je respecte cela et lui offrirais une mort honorable. Cela te convient-il ?

Lenwë Elensar se retourna pour regarder sa mère; Femme ancienne et pleine de puissance, elle était capable de renverser le monde d'Azeroth à ses seuls pieds. Et pourtant, quelque chose n'allait pas dans ses paroles, quelque chose qu'il ne pouvait identifier.

- Bien sûr que cela me convient; Je ne tiens pas à garder une bâtarde ici et encore moins la nourrir. Ce n'est pas digne du rang de la famille Elensar !

Il se dressa aussi droit qu'un arbre solide et vieux, faisant sourire sa mère. Mais l'heure n'était pas encore aux réjouissances, et bien qu'il voulait déjà se débarasser de cette enfant soi-disant forte, il ne pouvait imaginer à quel point l'autre était fragile. Voila ce qui clochait dans les paroles de sa mère, mais il ne l'apprit que bien plus tard - et beaucoup trop tard selon certains.

Assise entre un lys rouge et une azalée, l'elfette au visage crasseux observait la scène se déroulant de l'autre côté du jardin à l'herbe luxuriante. Ce n'était pas la première fois que son regard vert se posait sur le visage dur et mécontent du Seigneur Elensar, et ce n'était pas non plus la dernière qu'elle passerait à fixer d'un air absent les mouvements et les rires délicats de l'héritière de la famille. Tout le monde savait parfaitement depuis quarante-cinq ans (sept ans d'âge elfique) que le grand elfe à la chevelure rousse n'était pas fier de sa progéniture frêle et malade, et ce dans tout Lune d'Argent. La petite elfe aussi haute que trois pommes et équivalent sombre de la blonde à la peau diaphane, quant à elle, ne les suivait pas à la trace pour surprendre un quelconque geste qui puisse discréditer cette famille aux abords parfaits. Dans l'ombre du couple quasi royal et de leur princesse, Rayja de Lune d'Argent attendait.

- Et bien... Que voilà une drôle de petite fleur qui pousse dans mes parterres...

Un sursaut secoua l'ossature forte et fragile à la fois de la jeune elfe, la faisant revenir à une position debout et tournée vers sa maîtresse, les yeux baissés. Un sourire doux dans son visage compatissant, Lyslaetorë couvait la petite vagabonde d'un regard calme et amusé. Elle était grande et blonde comme le soleil et, aussi étonnant que cela puisse paraître, ses yeux étaient d'un vert qui oscillait vers le bleu océan - Une denrée rare, une perle au milieu de toutes ces elfes froides au regard assassin. La Dame de cette demeure n'était pas de ces dernières, affectionnant les fleurs qu'elle faisait pousser pour aider son mari dans la recherche de la vérité et, peut-être, d'un remède pour sa jeune Eamane. La petite elfe, malgré son jeune âge, ne pouvait que la respecter...

- Qu'avons-nous donc comme pousse, dites-moi ?

... Mais cela n'empéchait pas la douleur d'écraser son petit coeur lorsqu'elle relevait les yeux sur elle, de petits yeux tristes qui croisèrent ceux de la Dame qui lui faisait face. Répondre pour une servante n'était pas donné, rarement proposé, et Rayja ne savait absolument pas comment réagir à cette demande; Elle croisa donc ses mains dans un geste de supplication devant son tronc.

- Hola hola... T'ai-je demander de t'agenouiller, petite grenouille ? Allons, réponds-moi donc, je ne vais pas te mordre pour si peu !

Le rouge monta aux joues de la fillette et, après une brève hésitation que seuls ses yeux fous confirmaient, elle s'adressa à la belle Lyslaetorë pour la première fois de sa vie, d'une voix qui se voulait discrète mais dont la brusquerie éclairait un futur difficile;

- Pardonnez-moi Madame de ne pas me trouver en cuisine, lieu ou ma mère à été congédiée à la naissance de votre honorable fille, mais j'avais dans l'envie d'observer les magnifiques plantes que vous faites pousser et...

Un léger sifflement vint stopper la petite elfe dans son explication mensongère, la laissant en pleine construction de phrase dans un O bien imité.

- Voyons... Que dirais-tu de venir avec moi ?
- Je vous demande pardon ?

Un sourire malicieux vint éclairer le visage encore enfantin du soleil de cette demeure alors qu'elle tendait une main fine et blanche à l'enfant qui lui faisait face :

- Contesterais-tu un ordre, jeune Rayja ?
- Non Madame !

Mais la main de la petite innocente ne vint jamais se poser dans celle offerte de la Dame; Cela ne l'empècha pas pour autant de la suivre, mais Rayja ne se faisait pas d'illusion. Si une fois elle possédait la chance de parler et d'obéir personnellement à cette radieuse personne, ce ne serait qu'une unique fois qu'il faudrait oublier par la suite. Après quelques pas esquissés sur l'herbe d'un vert éclatant, Lyslaetorë s'arrêta et s'écarta du chemin de l'elfe aux cheveux sombres. Ce fut également, pour l'elfette, la première fois qu'elle se tint devant sa demi-soeur. C'était la première fois qu'elle voyait d'aussi près celle qui lui avait tout volé sans même le faire exprès. Et...

- Que diriez-vous de jouer ensemble ?

... Ce fut aussi la première fois que Rayja Elensar de Lune d'Argent ressentit une bouffée de haine dilater ses pupilles noires.