Estriella

Le soleil a entamé sa course glorieuse depuis deux heures. Comme tous les jours dès l'office du lever achevé, je me retrouve assisse dans la salle d'études. Comme tous les jours, le grand-prêtre entonne sa litanie d'un ton pontifiant. Comme souvent, mon attention se détourne et se porte sur des grains de poussière dorés par le soleil. Bientôt, la voix devient murmure lointain, bientôt, la poussière devient tableau...

Flashback

Deux enfants, deux fillettes, jouent en riant dans une cour ensoleillée. L'ainée à la chevelure de feu fait signe à sa cadette de la suivre et sort de la cour.

- Tu sais que père ne veut pas qu'on s'éloigne, dit timidement la petite.
- Il n'en saura rien. Viens, je vais te montrer quelque chose, de la magie très puissante...

Peu empressée, mais n'osant contrarier sa soeur, Estriella la suit. Après un long moment angoissant à traverser la forêt, elles arrivent dans une sombre clairière. Des gens sont là et s'entrainent à une magie qu'Estriella ne reconnait pas : Ils invoquent des créatures qui lui donnent froid dans le dos. Sa soeur se met à incanter ces mots étranges elle aussi et bientôt une minuscule créature apparait. Estriella a peur, elle veut rentrer... Une femme aux longs cheveux sombres lui sourit.

- Ne crains rien, toi aussi tu pourras le faire si tu m'écoute. Mais il ne faudra rien dire à ton père, il ne comprend pas.

Après ce qui parait des heures à la petite, elles prennent le chemin du logis. Un elfe grand et rigide, au visage sévère les guette au portail.

- Où étiez vous ? Vous ne devez pas sortir seules.

Il semble avoir pour une fois perdu son sang-froid. On le dirait... Affolé. C'en est trop pour la petite; Elle fond en larmes et avoue tout à son père avant de se réfugier dans sa chambre. Elle voudrait tant avoir une mère, comme les autres, pour la consoler, mais elle n'est pas là, elle est partie depuis longtemps. Estriella ne se souvient même pas d'elle. En bas son père éructe sa colère contre sa soeur, celle-ci hurle à son tour. Estriella reconnait le claquement de la ceinture de cuir, puis un long, long silence. Terrassée par le chagrin, elle finit par s'endormir. Le lendemain, son père lui parle, de son ton froid, son ton de grand-prêtre.

- Ta soeur est partie, elle n'a plus sa place ici, elle est corrompue... Fin de la discussion...

Fin Flashback

La cloche me ramène à la réalité; Mon père me regarde, il sait que je rêvassais encore, je vais avoir droit à une pénitence. Je sors les yeux baissés, mais sitôt dans les jardins, mon esprit repart battre la campagne.

Flashback

Des années ont passé. Estriella est une jeune femme à présent. Elle tient entre ses mains fines une miniature qui représente une belle elfe aux cheveux sombres comme les siens : Sa mère. C'est la femme de la clairière. La jeune femme a fini par connaitre l'histoire. Emportée par sa soif de magie, sa mère s'est tournée vers le démonisme. Son père, elfe hautain et intransigeant, l'a chassée et par son enseignement religieux a tenté de sauvegarder ses enfants. Si cela a marché avec Estriella qui n'utilise la magie que pour le bien des gens, ce fut une autre chose pour sa soeur. Elle a quitté la maison et jamais plus on n'eut de ses nouvelles...

Jusqu'à hier...

La porte du salon où elle se tenait avec ses compagnons s'est ouverte brusquement; Une femme à la fois flamboyante, de par sa chevelure, et glaciale, de par son attitude est alors entrée. Elle a toisé toutes les personnes l'une après l'autre, une moue dédaigneuse aux lèvres, puis s'est assisse au coin du feu.

- Si vous croyez que je vais vous parler de moi, vous faites une grave erreur. Je suis là car j'ai entendu une histoire vous concernant. Une histoire de pouvoir, et le pouvoir m'interesse... Je consens donc à vous aider. La seule chose que vous saurez est mon nom. Je me nomme...
- Vaëldra.

Le nom a échappé à la bouche d'Estriella dans un murmure. La femme s'est tournée vers elle. Un rictus s'est dessiné sur ses lèvres.

- Oh mais qui avons nous là...? La petite fille à son papa, quelle ironie.

Elle a éclaté de rire avant de prendre des mains de son diablotin un verre de vin rouge.

Fin Flashback

Une ombre me cache le soleil. Je lève les yeux et je vois le visage austère de mon père. De la main, en silence, il désigne la cuisine du temple : L'heure de la pénitence a sonné, la vaiselle qui a servi à nourrir les indigents est là qui m'attend. Je soupire en me levant. Les journées vont être rudes... Vaëldra de retour d'un côté et le regard inquisiteur de mon père de l'autre.

Heureusement, les autres seront là pour me soutenir, comme je les soutiendrais.